Satisfaite, Maîtresse Yoo-Me me
fait monter sur le pont en tirant sur ma laisse. Entravé comme je le suis, je
ne puis qu’obtempérer, rampant à quatre pattes.
Parvenu sur le pont, je suis
aveuglé par la lumière du soleil, habitué que je suis à la pénombre. Je vois
tout autour de moi s’affairer des silhouettes à la démarche gracieuse, se
déhanchant telles des ombres, martelant le pont de leurs pieds nus, dévidant
les cordages, les voiles qui claquent tout autour, sentant sur ma peau, le
vent, les embruns et la caresse de l’astre du jour. L’air marin agresse mes
narines.
Le tangage et les changements de
caps me font perdre l’équilibre et je heurte le bastingage et me retrouve sur
le d os, les quatre fers en l’air et les membres emmêlés dans mes chaînes. Observant
de loin dans le contre-jour, celle qui se tient debout à la barre, une large
casquette vissée sur la tête, je tente de me relever avec peine, sous l’air
moqueur de l’équipage.
La capitaine observe l’horizon
aux jumelles. Les posant, elle distribue des ordres d’une voix impérieuse. Le
moteur soudain tousse et reprend vie dans un staccato régulier, tel un génie
des eaux tiré de son repos alors que sur le pont, les voiles repliées,
l’équipage s’appuie sur le bastingage, observant une île à présent visible qui
se rapproche et grandit sous mes yeux ébahis.
Entrant dans l’abri relatif d’une
petite crique, la coque fine et blanche vient s’aligner contre un ponton de
bois aux planches défraîchies et glissantes. Devant moi quelques cahutes de
pierre misérables se pressent, alors que tout autour, des taches blanches de
neige entourant des rochers sombres, fondent au soleil. Au loin, des nuages
noirs s’amoncellent.
Débarquant dans ce village à
l’abandon aux façades décrépies, une cape sur le dos et des tongs aux pieds,
enchaîné, je suis mon escorte de charme chaudement vêtue dans ces lieux
incongrus et nous nous dirigeons vers une des maisons dans la bise qui se lève
amenée par le vent du large. Je remarque en approchant un filet de fumée qui
s’échappe de la cheminée.
Maîtresse Yoo-Me tient ma laisse
alors que la mystérieuse capitaine vêtue de cuir et de cuissardes qui gainent
des jambes interminables. Le visage masqué d’un foulard de soie cramoisie
masquant sa chevelure et des lunettes de soleil aux effets de miroir, la
capitaine descend élégamment les quelques marches de basalte en ondulant du
bassin et en claquant des talons. Elle tape au moyen d’un heurtoir et pénètre aussitôt,
sans attendre, la première dans le refuge. Nous lui emboîtons le pas.
Dans la pièce plongée dans la
pénombre, crépite dans l’âtre une bonne flambée de bois sec. L’intérieur que je
découvre y est particulièrement spartiate. Sur la gauche je devine des couches
blotties le long du mur, tandis qu’à droite une longue table et des bancs de
bois d’aspect rustiques. Un sol de pierre brute agrémenté de peaux de bêtes
complète le tableau.
Habitué à la pénombre je devine
une chaise faisant face aux flammes une silhouette jusque-là immobile, vêtue
d’une longue cape, s’anime et nous souhaite la bienvenue d’une voie doucereuse
et Féminine : « bienvenue à nos Chasseresses, avez-vous capturé le
gibier ? » Maîtresse Yoo-Me s’avance et me pousse en avant. Dans le
silence, mes chaînes tintent sur le sol. Je tombe durement à genoux aux pieds
de l’inconnue qui se lève et me fait face en m’observant sous sa capuche.
Elle se lève, me fait face et me
toisant un instant de toute sa hauteur, soulève la capuche d’un mouvement de
ses mains fines et aux ongles peints. La cape noire aux fins liserés d’ors
s’écarte et apparait le visage fin d'une blonde aux longs cheveux dorés et au
nez allongé qui me fixe de ses yeux noisette. Maîtresse Yoo-Me et la
mystérieuse capitaine viennent se placer de chaque côté et viennent quérir leur
dû. La blonde désigne négligemment du doigt une mallette posée sur la table,
que mes ravisseuses s’empressent d’aller ouvrir, m’entraînant derrière elles à
quatre pattes.
« Le compte y est »
annonce Yoo-Me à son acolyte qui acquiesce. Elles reviennent et tendent la
laisse à l’inconnue qui s’en saisi et me tend la main. « Voici ta nouvelle
Maîtresse annoncent elles en cœur. « Je suis ta nouvelle Maîtresse et on
peut dire que tu m’auras fait courir petit mâle, mais on n’échappe pas à
Maîtresse Stéphanie ! Je t’ai payé et tu es à moi »
Elle me présente une main que je
m’empresse d’embrasser, comprenant la précarité de ma situation. Un sourire
carnassier éclaire son visage dans le reflet dansant des flammes. Elle écarte
sa cape et je la découvre vêtue d’une jupe et d’un corset de cuir noir. A ses
pieds, des cuissardes à très hauts talons. « Je sens que je vais ‘amuser
avec toi. » ajoute-t-elle pensive.
A cet instant, la capitaine la
rejoint et défaisant foulard, casquette et lunettes, secoue sa longue chevelure
blonde, d’un mouvement de la tête, la remettant en ordre de la main. Elle
dévoile enfin son identité sous mes yeux ou se lisent à a fois stupeur et
consternation…
Derrière, légèrement en retrait,
deux silhouettes, l’une brune et l’autre blonde attendent en silence et avec
déférence la fin de la confrontation en s’adressant de temps en autres, des
œillades.
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