mercredi 2 août 2017

Pavillon noir et talons aiguilles 2 : L’île des mers gelées

Satisfaite, Maîtresse Yoo-Me me fait monter sur le pont en tirant sur ma laisse. Entravé comme je le suis, je ne puis qu’obtempérer, rampant à quatre pattes.

Parvenu sur le pont, je suis aveuglé par la lumière du soleil, habitué que je suis à la pénombre. Je vois tout autour de moi s’affairer des silhouettes à la démarche gracieuse, se déhanchant telles des ombres, martelant le pont de leurs pieds nus, dévidant les cordages, les voiles qui claquent tout autour, sentant sur ma peau, le vent, les embruns et la caresse de l’astre du jour. L’air marin agresse mes narines.

Le tangage et les changements de caps me font perdre l’équilibre et je heurte le bastingage et me retrouve sur le d os, les quatre fers en l’air et les membres emmêlés dans mes chaînes. Observant de loin dans le contre-jour, celle qui se tient debout à la barre, une large casquette vissée sur la tête, je tente de me relever avec peine, sous l’air moqueur de l’équipage.




La capitaine observe l’horizon aux jumelles. Les posant, elle distribue des ordres d’une voix impérieuse. Le moteur soudain tousse et reprend vie dans un staccato régulier, tel un génie des eaux tiré de son repos alors que sur le pont, les voiles repliées, l’équipage s’appuie sur le bastingage, observant une île à présent visible qui se rapproche et grandit sous mes yeux ébahis.

Entrant dans l’abri relatif d’une petite crique, la coque fine et blanche vient s’aligner contre un ponton de bois aux planches défraîchies et glissantes. Devant moi quelques cahutes de pierre misérables se pressent, alors que tout autour, des taches blanches de neige entourant des rochers sombres, fondent au soleil. Au loin, des nuages noirs s’amoncellent.

Débarquant dans ce village à l’abandon aux façades décrépies, une cape sur le dos et des tongs aux pieds, enchaîné, je suis mon escorte de charme chaudement vêtue dans ces lieux incongrus et nous nous dirigeons vers une des maisons dans la bise qui se lève amenée par le vent du large. Je remarque en approchant un filet de fumée qui s’échappe de la cheminée.

Maîtresse Yoo-Me tient ma laisse alors que la mystérieuse capitaine vêtue de cuir et de cuissardes qui gainent des jambes interminables. Le visage masqué d’un foulard de soie cramoisie masquant sa chevelure et des lunettes de soleil aux effets de miroir, la capitaine descend élégamment les quelques marches de basalte en ondulant du bassin et en claquant des talons. Elle tape au moyen d’un heurtoir et pénètre aussitôt, sans attendre, la première dans le refuge. Nous lui emboîtons le pas.




Dans la pièce plongée dans la pénombre, crépite dans l’âtre une bonne flambée de bois sec. L’intérieur que je découvre y est particulièrement spartiate. Sur la gauche je devine des couches blotties le long du mur, tandis qu’à droite une longue table et des bancs de bois d’aspect rustiques. Un sol de pierre brute agrémenté de peaux de bêtes complète le tableau.

Habitué à la pénombre je devine une chaise faisant face aux flammes une silhouette jusque-là immobile, vêtue d’une longue cape, s’anime et nous souhaite la bienvenue d’une voie doucereuse et Féminine : « bienvenue à nos Chasseresses, avez-vous capturé le gibier ? » Maîtresse Yoo-Me s’avance et me pousse en avant. Dans le silence, mes chaînes tintent sur le sol. Je tombe durement à genoux aux pieds de l’inconnue qui se lève et me fait face en m’observant sous sa capuche.

Elle se lève, me fait face et me toisant un instant de toute sa hauteur, soulève la capuche d’un mouvement de ses mains fines et aux ongles peints. La cape noire aux fins liserés d’ors s’écarte et apparait le visage fin d'une blonde aux longs cheveux dorés et au nez allongé qui me fixe de ses yeux noisette. Maîtresse Yoo-Me et la mystérieuse capitaine viennent se placer de chaque côté et viennent quérir leur dû. La blonde désigne négligemment du doigt une mallette posée sur la table, que mes ravisseuses s’empressent d’aller ouvrir, m’entraînant derrière elles à quatre pattes.

« Le compte y est » annonce Yoo-Me à son acolyte qui acquiesce. Elles reviennent et tendent la laisse à l’inconnue qui s’en saisi et me tend la main. « Voici ta nouvelle Maîtresse annoncent elles en cœur. « Je suis ta nouvelle Maîtresse et on peut dire que tu m’auras fait courir petit mâle, mais on n’échappe pas à Maîtresse Stéphanie ! Je t’ai payé et tu es à moi  »




Elle me présente une main que je m’empresse d’embrasser, comprenant la précarité de ma situation. Un sourire carnassier éclaire son visage dans le reflet dansant des flammes. Elle écarte sa cape et je la découvre vêtue d’une jupe et d’un corset de cuir noir. A ses pieds, des cuissardes à très hauts talons. « Je sens que je vais ‘amuser avec toi. » ajoute-t-elle pensive.

A cet instant, la capitaine la rejoint et défaisant foulard, casquette et lunettes, secoue sa longue chevelure blonde, d’un mouvement de la tête, la remettant en ordre de la main. Elle dévoile enfin son identité sous mes yeux ou se lisent à a fois stupeur et consternation…

Derrière, légèrement en retrait, deux silhouettes, l’une brune et l’autre blonde attendent en silence et avec déférence la fin de la confrontation en s’adressant de temps en autres, des œillades.


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