dimanche 6 août 2017

Pavillon noir et talons aiguilles 4 : L’île mystérieuse

Alors que nous nous concertons, sans oser faire trop de bruits, restant attentifs aux moindres bruits, à travers la bise et la pluie, des chuchotements puis des cris nous parviennent sans que nous parvenions à en déterminer la provenance. Nous nous blottissons l’un contre l’autre, échangeant nos chaleurs animales et finissons par nous endormir, l’estomac vide, vaincus par la fatigue.

Au petit matin, la pluie a cédé le pas à une brume épaisse qui recouvre les pentes désolées de la montagne, à l’intérieur de l’île, désertée par la neige. Nos poursuivantes semblent avoir renoncé à nous poursuivre. Pourtant un je ne sais quoi d’inquiétant rend l’atmosphère lourde.

Des grondements sourds, se font entendre. Au loin des rougeoiements apparaissent. La terre semble se rebeller. Comme si nos jeux infantiles avaient éveillé une antique divinité de la terre, ouvrant la porte des enfers, débordant par leur gueule de la forge des dieux. Hel ou Perséphone marcheraient elles parmi nous ? Toute vie semble en tous cas avoir déserté cette contré oubliée des autres dieux.




Nous nous recroquevillons à l’intérieur de notre abri. La moiteur nouvelle et les rougeoiements au dehors éclairent en alternance notre réduit, faisant danser des ombres sur les parois. Écarquillant les yeux horrifiés, nous constatons alors une anfractuosité dans le fond et un souffle de fraîcheur qui en émane.

Aussitôt, après avoir échangé un simple regard, nous nous engageons le cœur battant dans les entrailles de la terre. Nos maigres nippes collées à la peau éveillent nos sens alors que le danger parait plus lointain.

Dans cette tendre moiteur, un filet d’air frais nous fait frissonner et dans les lumières dansantes passant à travers l’ouverture de notre réduit, apparaissent alternativement tel un film opéré par un projectionniste fou, des fresques antiques, presque surréalistes en ce lieu maudit des dieux, faites d’animaux et de forêts. Des scènes de champêtres, de chasse ou de pêche et plus loin d’êtres enlacés aux poses suggestives et sexes surdimensionnés.

Ces filets de lumières dansantes dessinent des zébrures sur ses jolis seins pointant à travers la moiteur du seul tissu grossier dont elle est vêtue. Cette vision du passé de l’île et de ses premiers habitants a sur nous son effet apaisant, au milieu de toute cette furie, quand tout à coup, nous entendons au loin des cris et des rires répercutés en écho à travers les parois alors qu’autour de nous la terre tremble et que des pierres se détachent du plafond.

Reconnaissant alors les voix de nos geôlières déformées et presque sépulcrales, nous nous interrogeons du regard et soudain, mue par une envie irrépressible, Sarah s’élance dans le noir vers l’inconnu, en me saisissant par le bâton de joie, fortement tendu vers ses formes aguichantes.

D’un « viens » sans réplique murmuré à mes oreilles, elle m’entraine en me prenant par la main vers les profondeurs et l’inconnu, à la découverte de nouveaux mystères. Je sursaute et pousse un petit cri, qui me vaut la réprobation de son œil sévère, l’index en travers de ses lèvres. Elle caresse ma queue langoureusement et m’entrainement plus profondément dans l’inconnu.

Notre progression est rendue difficile par le sol inégal et nous heurtons ici de la tête ou du pied, stalactites et stalagmites et autres concrétions. L’humidité est partout et nous grelottons à nouveau rapidement sous les hardes collées à nos peaux, ce qui nous amène à nous tenir par la taille pour ne pas nous perdre. Ses formes mes font un peut tourner la tête et pour ne pas que je la quitte, Sarah prend mes mains et les pose sur ses seins, tout en m’entrainant toujours plus loin.

Observant au loin une faible luminosité dans le noir et nous guidant à l’écho déformé des voix, et le plic-plac des gouttes qui éclatent en touchant le sol, en sentant par moment des formes frôler nos pieds nus. Poussant de concert un petit cri de surprise, nous sautillons et perdons l’équilibre pour atterrir dans une eau froide et profonde dont le courant nous entraîne, séparés pour la première fois.

Au loin, un grondement parvient à nos oreilles et je tente de lutter contre le courant pour regagner la berge. Au bruit des jurons et au clapotis près de moi, je comprends que Sarah fait de même. Mais c’est peine perdue et le grondement assourdissant, fait suite à une chute qui nous semble durer une éternité.

Ayant perdu conscience, je me réveille auprès de ma compagne d’infortune. Au loin, une faible lueur et les voix de nos tourmenteuses semblent provenir d’une anfractuosité dans la roche. Prudemment nous nous approchons en rampant aussi silencieusement que possible et tout en grelottant de froid afin de les observer à leur insu.




La scène qui se dévoile à nos yeux nous laisse pantois. Fadi humiliée et tentant de résister aux trois prédatrices voulant la faire abjurer sa fidélité à sa Maîtresse et de leur dire ce qu’elle sait sur notre fuite, en usant de tous les tourments dont leur esprit est capable. Lentement sa détermination défaille et au moment où elle leur baise les pieds, Sarah excédée, étouffe un juron et tape la paroi.

A sa grande surprise, celle-ci bascule dans un raclement. Plus bas les occupantes se figent en regardant en tous sens, alors que le sol se dérobe sous nos pieds. Nous chutons lourdement sur les couches disposées derrière le quatuor. La trappe se referme mécaniquement dans un clac assourdissant.

Reprenant mes esprits, alors que je tente de me relever, une paire de bottes à hauts talons me cloue au sol. « Alsooo, voyez donc qui vient nous rendre visite les filles. Quelle surprise, nos petits chiens reviennent au bercail. » Déclare une voix. « L’appel de la gamelle sûrement. » répond une autre. Le trio éclate de rire, alors que tout près, Fadila profitant de l’occasion tente de s’éclipser.


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