Alors que nous nous concertons,
sans oser faire trop de bruits, restant attentifs aux moindres bruits, à
travers la bise et la pluie, des chuchotements puis des cris nous parviennent sans
que nous parvenions à en déterminer la provenance. Nous nous blottissons l’un
contre l’autre, échangeant nos chaleurs animales et finissons par nous
endormir, l’estomac vide, vaincus par la fatigue.
Au petit matin, la pluie a cédé
le pas à une brume épaisse qui recouvre les pentes désolées de la montagne, à
l’intérieur de l’île, désertée par la neige. Nos poursuivantes semblent avoir
renoncé à nous poursuivre. Pourtant un je ne sais quoi d’inquiétant rend
l’atmosphère lourde.
Des grondements sourds, se font
entendre. Au loin des rougeoiements apparaissent. La terre semble se rebeller.
Comme si nos jeux infantiles avaient éveillé une antique divinité de la terre,
ouvrant la porte des enfers, débordant par leur gueule de la forge des dieux.
Hel ou Perséphone marcheraient elles parmi nous ? Toute vie semble en tous
cas avoir déserté cette contré oubliée des autres dieux.
Nous nous recroquevillons à
l’intérieur de notre abri. La moiteur nouvelle et les rougeoiements au dehors
éclairent en alternance notre réduit, faisant danser des ombres sur les parois.
Écarquillant les yeux horrifiés, nous constatons alors une anfractuosité dans
le fond et un souffle de fraîcheur qui en émane.
Aussitôt, après avoir échangé un
simple regard, nous nous engageons le cœur battant dans les entrailles de la
terre. Nos maigres nippes collées à la peau éveillent nos sens alors que le danger
parait plus lointain.
Dans cette tendre moiteur, un
filet d’air frais nous fait frissonner et dans les lumières dansantes passant à
travers l’ouverture de notre réduit, apparaissent alternativement tel un film
opéré par un projectionniste fou, des fresques antiques, presque surréalistes
en ce lieu maudit des dieux, faites d’animaux et de forêts. Des scènes de
champêtres, de chasse ou de pêche et plus loin d’êtres enlacés aux poses
suggestives et sexes surdimensionnés.
Ces filets de lumières dansantes
dessinent des zébrures sur ses jolis seins pointant à travers la moiteur du
seul tissu grossier dont elle est vêtue. Cette vision du passé de l’île et de
ses premiers habitants a sur nous son effet apaisant, au milieu de toute cette
furie, quand tout à coup, nous entendons au loin des cris et des rires
répercutés en écho à travers les parois alors qu’autour de nous la terre
tremble et que des pierres se détachent du plafond.
Reconnaissant alors les voix de nos
geôlières déformées et presque sépulcrales, nous nous interrogeons du regard et
soudain, mue par une envie irrépressible, Sarah s’élance dans le noir vers
l’inconnu, en me saisissant par le bâton de joie, fortement tendu vers ses
formes aguichantes.
D’un « viens » sans
réplique murmuré à mes oreilles, elle m’entraine en me prenant par la main vers
les profondeurs et l’inconnu, à la découverte de nouveaux mystères. Je sursaute
et pousse un petit cri, qui me vaut la réprobation de son œil sévère, l’index
en travers de ses lèvres. Elle caresse ma queue langoureusement et
m’entrainement plus profondément dans l’inconnu.
Notre progression est rendue
difficile par le sol inégal et nous heurtons ici de la tête ou du pied,
stalactites et stalagmites et autres concrétions. L’humidité est partout et
nous grelottons à nouveau rapidement sous les hardes collées à nos peaux, ce qui
nous amène à nous tenir par la taille pour ne pas nous perdre. Ses formes mes
font un peut tourner la tête et pour ne pas que je la quitte, Sarah prend mes
mains et les pose sur ses seins, tout en m’entrainant toujours plus loin.
Observant au loin une faible luminosité
dans le noir et nous guidant à l’écho déformé des voix, et le plic-plac des
gouttes qui éclatent en touchant le sol, en sentant par moment des formes
frôler nos pieds nus. Poussant de concert un petit cri de surprise, nous
sautillons et perdons l’équilibre pour atterrir dans une eau froide et profonde
dont le courant nous entraîne, séparés pour la première fois.
Au loin, un grondement parvient à
nos oreilles et je tente de lutter contre le courant pour regagner la berge. Au
bruit des jurons et au clapotis près de moi, je comprends que Sarah fait de
même. Mais c’est peine perdue et le grondement assourdissant, fait suite à une
chute qui nous semble durer une éternité.
Ayant perdu conscience, je me
réveille auprès de ma compagne d’infortune. Au loin, une faible lueur et les
voix de nos tourmenteuses semblent provenir d’une anfractuosité dans la roche.
Prudemment nous nous approchons en rampant aussi silencieusement que possible
et tout en grelottant de froid afin de les observer à leur insu.
La scène qui se dévoile à nos
yeux nous laisse pantois. Fadi humiliée et tentant de résister aux trois
prédatrices voulant la faire abjurer sa fidélité à sa Maîtresse et de leur dire
ce qu’elle sait sur notre fuite, en usant de tous les tourments dont leur
esprit est capable. Lentement sa détermination défaille et au moment où elle
leur baise les pieds, Sarah excédée, étouffe un juron et tape la paroi.
A sa grande surprise, celle-ci bascule
dans un raclement. Plus bas les occupantes se figent en regardant en tous sens,
alors que le sol se dérobe sous nos pieds. Nous chutons lourdement sur les
couches disposées derrière le quatuor. La trappe se referme mécaniquement dans
un clac assourdissant.
Reprenant mes esprits, alors que
je tente de me relever, une paire de bottes à hauts talons me cloue au sol.
« Alsooo, voyez donc qui vient nous rendre visite les filles. Quelle
surprise, nos petits chiens reviennent au bercail. » Déclare une voix.
« L’appel de la gamelle sûrement. » répond une autre. Le trio éclate
de rire, alors que tout près, Fadila profitant de l’occasion tente de
s’éclipser.
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